Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Lawrence d’Arabie : un héros romantique.

 

 

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Le 19 mai 1935, Thomas Edward Lawrence décède suite à un accident de moto dans la Dorset. L'un des mythes de ce début de 20ème siècle, Lawrence d'Arabie, vient de disparaître. Il est à la fois archéologue, ethnologue, conseiller militaire, conseiller diplomatique, agent de renseignement. Il est notamment connu pour sa connaissance du Moyen-Orient et des Arabes avant et pendant la Première Guerre mondiale et pour son implication déterminante et ses fonctions de conseiller pendant la révolte arabe qui débuta en juin 1916. Les multiples facettes de sa personnalité et de ses actes suscitent les interrogations et les polémiques parmi ses contemporains, comme le relate Benoist-Méchin : « Faut-il s’étonner, (…), si les critiques, déroutées par la complexité du personnage, ont porté sur lui les jugements les plus contradictoires ? ». Il aura été « Un Tartuffe, un mythomane et un imposteur sans scrupule», pour Richard Aldington , « un baladin assoiffé de publicité personnelle », pour Lord Thomson. Mais, Winston Churchill, qui savait juger les hommes, a proclamé hautement : « Outre ses capacités multiples, Lawrence possédait la marque du génie, que tout le monde s’accorde à reconnaître mais que nul ne peut définir. »

 

Une jeunesse britannique mêlée de voyages  

 

Thomas Edward Lawrence est né le 16 août 1888 à Trémadoc dans le Pays de Galles. Son père, dont le vrai nom était Chapman, a quitté l'Irlande, sa femme, ses quatre filles et une bonne partie de sa fortune pour aller vivre avec sa gouvernante Sarah Junner. Mme Chapman refusant de divorcer, les Chapman prennent le nom de Lawrence et forment au gré de la naissance de cinq fils une famille parfaitement honorable. Tout le monde, enfants y compris, ignore l'illégitimité de leur relation. Thomas Edward, le second des cinq fils, la découvre pendant son adolescence. Après nombre  de déplacements et un séjour de quelques années à Dinard en France, la famille Lawrence s'installe à Oxford dans le courant de l'été 1896, afin d'assurer une éducation saine et stable aux cinq garçons. La scolarité de Thomas Edward se déroule sans aucun problème. Il est très doué et il passe brillamment tous ses examens. En octobre 1907, il obtient une bourse pour le Jesus College, toujours à Oxford. Il s’intéresse à l’histoire, en particulier aux croisades, aux châteaux forts et aux bédouins. Cet attrait le pousse à entreprendre un voyage au Moyen-Orient. Il arrive ainsi à l’été 1909 à Beyrouth, puis se rend à Sidon (Saïda), en Galilée, à Tibériade, à Nazareth, Haïfa, Saint Jean d’Acre et Tyr. Il entreprend ensuite de visiter la Syrie du Nord. Mais son attrait intellectuel pour les croisades laisse progressivement la place aux Arabes, qui « exercent un attrait particulier sur mon imagination. Ils représentent l’antique civilisation qui a su se libérer des dieux du foyer et de la plupart des entraves dont nous nous chargeons avec empressement ».  Il se rend ensuite dans la région du haut Euphrate, regagne Alep et Beyrouth, et rentre en Angleterre. Il soutient alors sa thèse sur « L’influence des croisades sur l’architecture militaire d’Europe, jusqu’à la fin du XIII ème siècle » et obtient la meilleure mention.

 

Géographe et agent de liaison.

 

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Lawrence rejoint la section géographique de l'état-major général, où il est employé comme cartographe, rédigeant notamment un rapport sur les routes traversant le désert du Sinaï. En octobre 1914, il est affecté, grâce à Hogarth, comme sous-lieutenant au service cartographique du ministère de la guerre. A la fin du mois de décembre, il est transféré au Caire au Service des Renseignements militaires où il retrouve Newcombe et Woolley. Il se fait très vite remarquer par son excellent travail. Il participe à la préparation d'un plan de débarquement à Alexandrette, passe une semaine à Athènes pour enseigner l'exploitation des photographies aériennes (en août 1915), interroge des prisonniers et contribue à la publication de bulletins d'informations pour l'armée d'Egypte. En avril 1916, il part avec Audrey Hebert en mission à Bassorah, pour négocier la reddition des troupes britanniques encerclées à Kut-Al-Amara. Ils échouent, mais Lawrence en profite pour produire un long rapport confidentiel sur l'état de l'armée britannique de Mésopotamie et sur les possibilités inexploitées d'utiliser le nationalisme arabe contre les turcs dans cette région. Il devient rapidement agent de liaison entre les tribus arabes révoltées et les Britanniques. Il fait depuis toujours partie du clan des Arabophiles qui pensent que le meilleur moyen de battre la Turquie est de provoquer la révolte des Arabes qui constituent une part importante de l'empire Ottoman en leur promettant l'indépendance. Depuis le début de la guerre, Sir Henry McMahon et Ronald Storrs négocient secrètement avec Hussein, le chérif de La Mecque. Début juin 1916, le chérif proclame finalement l'insurrection pour la plus grande joie de Lawrence et de ses amis. Lawrence tient absolument à rejoindre l'Arab Bureau nouvellement formé sous la direction d'Hogarth, et chargé de tout ce qui touche à la révolte arabe. Jugé indispensable dans son service, il se rend insupportable à ses supérieurs. Il est finalement muté en octobre 1916.

 

Du renseignement à la guerre. 

 

En janvier 1917, il est avec l'armée arabe lors de la prise d'El Ouedj. Dès le mois de mars, il organise des raids contre les voies ferrées. En juillet, il fait partie de la petite troupe qui capture par surprise le port d'Akaba. Cet exploit modifie radicalement les données stratégiques de la révolte Arabe et le statut de Lawrence. Il obtient la pleine confiance du général Allenby, le nouveau commandant en chef de l'armée d'Egypte, qui lui fournit des moyens financiers et matériels considérables. Pour les Britanniques, il est maintenant le « responsable » de l'armée de Fayçal qui a quitté le Hedjaz pour constituer l'aile droite d'Allenby au Sinaï et en Palestine. Les succès militaires et les drames personnels vont alors se succéder rapidement. Il ne peut tenir sa promesse de détruire les viaducs du Yarmuk; il est capturé par les turcs, torturé et violé avant de pouvoir s'échapper. Il a l'honneur d'être parmi les premiers à rentrer à pied dans Jérusalem libéré.  Il défait un bataillon turc à Tafila; il ment à ses amis arabes sur les véritables intentions des Alliés.  Il accélère par des raids audacieux la débandade des troupes turques. Tout s'achève avec une entrée triomphale à Damas, aux côtés de Fayçal le 30 septembre 1918. Trois jours après, il obtient d'Allenby une permission et  rentre en Angleterre avec le grade de lieutenant-colonel.

 

La désillusion 

 

A la suite de la prise de Damas, Lawrence décide de rentrer en Grande-Bretagne. Si son rêve d’avoir pu donner l’indépendance aux Arabes semble s’être réalisé, en revanche, la signature des accords Sykes-Picot[1]par les Français et les Britanniques lui apparaît comme une trahison. Selon Lawrence, «le bruit de cet artifice atteignit certaines oreilles arabes par le canal de la Turquie. Les Arabes, qui avaient vu mon amitié et ma sincérité à l’épreuve des combats, me demandèrent de garantir les promesses du gouvernement britannique. Je n’avais jamais été officiellement averti, ni même amicalement renseigné, sur les engagements de Mac Mahon et le traité Sykes-Picot : tous deux avaient été établis par les bureaux du Foreign Office. Mais comme je n’étais pas absolument idiot, je voyais bien que si nous gagnions la guerre, les promesses faites aux Arabes seraient un chiffon de papier. Si j’avais été un conseiller honnête, j’aurais dû renvoyer mes hommes chez eux au lieu de les laisser risquer leur vie pour ces histoires douteuses. Mais l’enthousiasme arabe n’était-il pas notre meilleur atout dans cette guerre du Proche-Orient ? J’affirmais donc à mes compagnons de lutte que l’Angleterre respectait la lettre et l’esprit de ses promesses ».  Il quitte alors l’Orient, avec le sentiment d’avoir été trahi et surtout d’avoir trahi la cause des Arabes. Il va alors dépenser toute son énergie pour la cause des Arabes, raison pour laquelle il refuse d'être décoré par le roi Georges V. Il participe à la conférence de Versailles, comme délégué britannique détaché auprès de la mission du Hedjaz conduite par Fayçal. Malgré des concessions aux Sionistes et la sympathie des Américains, Lawrence et les Arabes ne parviennent pas à contrer les ambitions colonialistes de la France et de la Grande-Bretagne qui finissent par prévaloir dans une myriade d'accords ou déclarations contradictoires (McMahon, Sykes-Picot, Balfour, les Sept du Caire, 14 points de Wilson). L'échec est consommé en juillet 1919 quand les troupes françaises chassent Fayçal du trône de Syrie qui lui avait été accordé sous mandat français. Il y a aussi de graves problèmes avec l'administration britannique en Mésopotamie que Lawrence critique dans une série de lettres ouvertes au Times ainsi qu'à d'autres journaux, entre mai et octobre 1920.

 

Aviateur et Ecrivain. 

 

Dans l’immédiat après-guerre, Lawrence travaille pour le Foreign Office et assiste à la conférence de paix de Paris entre janvier et mai 1919 en tant que membre de la délégation de Fayçal. Il est ensuite conseiller de Winston Churchill au Colonial Office jusque vers la fin de 1921. C'est lui qui obtient, avec son amie l'orientaliste Gertrude Bell, que la couronne d'Irak soit remise à Fayçal, qui vient de perdre le trône de Syrie. En 1922, il met fin à sa carrière de conseiller politique pour les affaires proche-orientales et signe un engagement comme simple soldat dans la Royal Air Force, sous le nom de J.H. Ross, affecté pour se former à l'école de photographie de Farnborough. Pendant ce temps, il a parachevé la rédaction d’un  livre monumental de 700 pages, Les Sept Piliers de la sagesse, dans lequel il livre sa version des événements de 1916-1918. Une édition privée est publiée en 1922, une deuxième, limitée à 200 exemplaires en 1926 et, surtout, une version abrégée, Révolte dans le désert, en 1927, qui consacre la popularité de Lawrence, renforcée par de multiples publications à son sujet. Son engagement dans la RAF ayant été rendu public par la presse, il accepte un poste en Inde, mais, là encore, sa notoriété le dessert : certains articles de presse, en Grande-Bretagne mais aussi en France, en Russie soviétique et jusqu'aux États-Unis, insinuent qu'il s'agit d'une couverture pour des activités d'espionnage dans l'Afghanistan voisin. Lawrence doit donc être rapatrié en Angleterre en 1929, où il est affecté à la base RAF de Plymouth. En dehors des obligations de service, il entretient une volumineuse correspondance, travaille à la rédaction d'un récit de son expérience dans l'armée de l'Air The Mint , qui ne paraîtra qu'à titre posthume, en 1955 et à une traduction de l' Odyssée , qu'il achève en 1931.

 

Un héros romantique ?

 

Au-delà d’une vie totalement romanesque, Lawrence reste d'abord comme un héros militaire hors du commun. Cependant, les zones d’ombre ne sont pas absentes. Il est parfois difficile de démêler la vérité de la légende.  Son rôle dans la révolte arabe a-t-il été aussi déterminant qu'il le présente dans les Piliers ? Son attachement à la cause nationale arabe au Moyen-Orient demeure un élément central de son existence, mais il n'a pu, ni au fond voulu, car sa loyauté envers sa patrie prima, faire aboutir ce pour quoi les tribus bédouines s'étaient révoltées : le Moyen-Orient, à l'instar de la Palestine, était bien une terre « trop promise ».

 

Pour en savoir plus :

 

Christian Destremau, Lawrence d'Arabie, Paris, Perrin, 2014.

 

François Sarindar, Lawrence d'Arabie : Thomas Edward, cet inconnu,Paris, Harmattan, coll. « Comprendre le Moyen-Orient », 2010.

 

Et bien entendu, le film de David Lean, Lawrence d’Arabie, avec Peter O’Toole, 1962.  

 

Cliquez ici pour télécharger l'article

 

Lawrence-d---Arabie--.pdf

 



[1]Les accords Sykes-Picot sont des accords secrets signés le 16 mai 1916, après négociations entre novembre 1915 et mars 1916, entre la France et le Royaume-Uni (avec l'aval de l'Empire russe et du royaume d'Italie), prévoyant le partage du Proche-Orient à la fin de la guerre (espace compris entre la mer Noire, la mer Méditerranée, la merRouge, l'océan Indien et la mer Caspienne) en plusieurs zones d'influence au profit de ces puissances, ce qui revenait à dépecer l'Empire ottoman.



12/11/2018
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